L’auteur est un passeur.
L’inspiration et l’imaginaire restent un mystère. Vous me répondrez qu’il s’agit là de facultés cérébrales, je vous répondrai qu’il s’agit de bien plus que cela. Ceux qui ont véritablement expérimenté des moments d’inspiration ne le savent que trop bien. Lorsque vos doigts tapent tout seuls sur le clavier, que vous en arrivez à vous contempler en train d’écrire et que l’œuvre semble vous « échapper », dictée par autre chose que vos propres pensées, une curieuse sensation vous envahit. Vous avez l’impression d’être devenu un véhicule, le passeur qui retranscrit de façon intelligible une manne immense, un univers d’idées, de concepts, de visions, auquel vous avez librement accès et qui demande, qui exige même, d’être traduit et transmis.
L’auteur est une sorte de relais entre l’infini et le concret. Toute la difficulté de son métier repose dans la translation de ce à quoi il est « connecté », mais c’est aussi là que repose le sens profond de ce qu’il est.
L’auteur est un souffleur.
Son inspiration est un courant d’air, qui parcourt le monde et maintient les braises de notre esprit allumées. Les histoires nous empêchent de nous endormir, de nous résigner à notre propre condition, de céder à l’abandon. Elles nourrissent notre sens critique d’éléments de comparaison, elles nous éveillent à d’autres conceptions. L’auteur est le gardien de l’évolution. Comme le disait si justement Carl Gustav Jung : « Une société sans rêve est une société sans avenir ». Si une société ne rêve plus, n’imagine plus, ne se déconnecte plus de sa propre réalité pour mieux l’appréhender, elle est condamnée à stagner, se figer, se cristalliser dans toute son imperfection. Très souvent, de façon inconsciente, les fictions inspirées inspirent à leur tour ceux qui s’y plongent, et enfantent de nouvelles idées, de nouvelles réactions. L’auteur, à l’image du vent, régule les forces de pression et les empêche de s’installer durablement.
Je ne dis pas que les auteurs sont les seuls à endosser ces rôles, je dis juste qu’ils sont essentiels à la santé mentale du monde. Il est des tribus où les conteurs sont considérés comme des éléments vitaux au bien-être commun, et où leur imaginaire est perçu comme une connexion directe avec « les dieux ». Dans notre société occidentale, nous avons tendance à oublier que, sans auteurs, il n’y aurait plus guère de moyens d’échapper à notre réalité pour nous aider à la réinventer. Sans auteurs, notre monde s’arrêterait de tourner. Faire partie de la mécanique a toujours été ma raison d’être.