Être auteur, c'est aussi passer son temps à travailler gratuitement, sans garantie de retour sur investissement. C'est galérer financièrement, et ne bénéficier d'aucune considération, ni d'un point de vue juridique, ni d'un point de vue social. Un auteur, même lorsqu'il est scénariste, n'a aucun statut. Il n'a pas droit aux allocations chômage, en revanche, il cotise. Auprès des "Agessa", qui le ponctionnent sur toutes les sommes touchées, même minimes. Il n'a pas de "congés payés", ni d'assurance maladie avantageuse, ni de "13ème mois". L'auteur n'est protégé par aucune convention collective, et doit se soumettre à ce qu'on tolèrera de lui donner en cas de contrat. Et c'est, le plus souvent, maigre... très, maigre.
L'auteur est un être isolé, auquel on demande d'être "professionnel", tout en considérant, dès qu'il s'agit de le payer, qu'il pratique en fait un hobby. Un romancier se doit de "savoir écrire", de maîtriser parfaitement sa langue, de connaître la construction dramatique sur le bout des doigts, et de travailler son talent pour produire des ouvrages dignes de ce nom. Un scénariste se doit d'être à l'aise avec le cahier des charges de l'écriture scénaristique, de travailler vite, de savoir s'adapter, "il s'agit d'un métier", répètent avec sévérité les producteurs. Par contre, quand il s'agit de le payer, de considérer le travail accompli, de lui donner toute sa valeur, non seulement en termes quantitatifs, mais aussi qualitatifs, là, tout à coup... être auteur devient un hobby. "Après tout, il fait ça parce que ça lui plaît, ce n'est pas une profession à proprement parler".
On me demande souvent pourquoi la création (particulièrement audiovisuelle) est si peu dynamique ou de mauvaise qualité en France. Je pense que la réponse se trouve dans les phrases précédentes. Il est psychologiquement et nerveusement extrême, de travailler dans des conditions financières catastrophiques, une reconnaissance quasi-inexistante, une précarité perpétuelle, et un taux d'échecs épuisant. Car être auteur, c'est aussi accepter de beaucoup travailler sur des écrits, tout en sachant pertinemment que les éditeurs ou les producteurs, 95 fois sur 100, vous diront non, même si votre travail est de qualité. Ce n'est "pas le moment", "pas ce qu'on cherche", "pas la tendance", sont des arguments qu'on vous renvoie en plein visage sans ciller, sans ambages, sans aucune considération pour les semaines de travail fourni en amont, visant à répondre aux demandes d'idées nouvelles et de créativité sans cesse renouvelées.
Quand vous allez voir un architecte pour qu'il vous construise une maison, même si, au final, vous ne tombez pas d'accord sur ses propositions, vous le payez pour le travail fourni. Lorsqu'un technicien du cinéma travaille sur un tournage, même si le film ne se fait pas pour X raisons, le technicien sera payé. L'auteur, lui, travaille sans filets, sans garantie, et la plupart du temps, sans être rémunéré.
Être auteur, en France, c'est donc vivre dans le paradoxe. Notre culture adore la création, l'imagination, les arts. Elle les encense, les vénère, leur reconnaît tous les mérites, et se targue de briller dans le monde entier. Et pourtant, l'auteur n'a pas d'existence tangible. Il n'a pas de factures à payer, pas d'estomac à remplir, et pas de vie à gérer. Il "ne travaille pas", il s'amuse, des heures durant, pour parvenir au résultat final qui vous enthousiasme tant. Les lecteurs réclament sans cesse de nouveaux livres, les spectateurs de nouveaux films et programmes télévisés, toujours et encore, toujours et encore...
Comment pensez-vous que ces œuvres se font pour répondre à vos attentes ? Les auteurs travaillent. Beaucoup. Mais ne sont pas autorisés à vivre de leurs compétences. Alors oui, être auteur est un métier difficile. Mieux vaut être conscient de cet état de fait avant de se lancer à corps perdu dans un métier qu'on fantasme souvent, sans réellement en connaître les tenants et aboutissants. Être auteur est un sacerdoce, un Everest qu'on gravit en tongs et sans oxygène. Il faut aimer les défis, et à vrai dire... il ne faut même aimer que cela.