Durant la décennie qui a suivi, j'ai accepté une autre vie, loin de mes rêves et de mes envies. J'ai décroché un DEUG de droit, me suis embarquée dans un BTS immobilier par alternance pour des questions de finances, ai commencé à travailler... Sans jamais cesser d'écrire. Les histoires sont devenues mon échappatoire, mon exutoire, mon refuge. C'était pathétique, mais c'était pratique.
Et puis Internet est arrivé. Ouvrant tout grand les vannes du possible, annihilant les contraintes de l'espace, mettant un terme à mon apathie. Plus besoin de vivre à Paris pour développer un réseau et faire lire mes écrits. Il me suffisait d'apprendre à maîtriser les nouveaux outils pour réintégrer la partie.
J'ai saisi l'opportunité d'un licenciement économique et d'un changement de vie personnelle pour me donner une seconde chance. Deux ans pour me faire connaître, convaincre, percer et devenir enfin ce que je pensais être. Miser l'intégralité de mon temps et de mon énergie sur ce qui m'avait toujours fondée. En lieu et place de deux ans, c'est finalement une décennie que j'ai consacrée à ma lubie.
Cinq romans (dont un à choix multiples qui n'est plus publié), une dizaine de bibles de série TV, cinq longs-métrages... Je me suis noyée dans l'hyperproductivité, la foi, l'espoir et la pugnacité. Je suis devenue auteure dans l'âme et jusqu'au bout des doigts. Mais être et vouloir ne suffit pas. Aucun de mes projets audiovisuels n'est parvenu à passer les plafonds de verre de la diffusion ou de la distribution, et aucun de mes livres n'a connu un succès suffisant pour me permettre de me consacrer pleinement aux suivants. Vivre de sa plume est réservé aux talentueux et aux chanceux. Peut-être ne suis-je aucun des deux.
Aujourd'hui, ancrée de force dans une réalité prosaïque, je suis prise entre deux mondes. Le ressac de mon imaginaire réprimé par le clapotis de mon présent, l'appel du large et du grand air dompté par le manque d'énergie et de temps. J'ai l'impression d'être revenue en arrière... mais en ayant malgré tout fait quelques pas en avant. J'ignore ce que les décennies à venir me réservent, mais les dernières m'auront au moins permis de gagner une vérité : j'aurai essayé.